Chapitre 1 - La mort a le visage de l'amour
Publié le 10 Mars 2015
Mon mari est décédé le 04 mai 2012
De longs mois durant, mon deuil a été une terre apocalyptique, un trou béant dans un univers devenu hostile. Une peur panique de l’existence qui désormais ne cessait de se fracasser contre un manque suppliciant.
Il était là riant, vivant et l'instant d'après allongé mort dans notre lit.
On aurait dit qu'il dormait paisiblement alors que sa vie venait de se terminer et mon calvaire de commencer.
J'ai longtemps refusé d'admettre sa mort tellement ça faisait mal.
Les autres continuaient de vivre comme si rien ne s'était passé.
D'ailleurs moi-même, je continuais de respirer, de marcher, de parler alors que mon cerveau se refusait à stocker de nouveaux événements, de nouveaux souvenirs. Comme mes malades Alzheimer : oublier le présent, revenir à l'origine pour cesser de souffrir.
Et le mois de mai n'en finissait pas de déployer son printemps majestueux, de faire pousser l'herbe, les fleurs, les haies et moi je restais immobile, figée de chagrin, paniquée de toute cette verdure tentaculaire qui faisait ressembler mon jardin à la jungle et mon cœur à une jachère sevrée brutalement d'amour.
Comme dans la nature, les hommes sont soumis à un cycle de vie.
Naître, vivre et mourir.
Avant d’être concerné, on refuse d'y penser. Mourir avant de naître, mourir bébé, mourir enfant, mourir avant d'être vieux.
Et puis ils y a nous les survivants qui approchons cette mort au plus près, la saisissons à bras le corps, l'embrassons sans gagner le droit de la vivre avec ceux qui ont franchi ce seuil mystérieux.
Pourquoi sont-ils partis sans nous, sans prévenir, sans crier gare, sans nous attendre, sans vivre jusqu'au bout ?
Pourquoi devons-nous poursuivre ?
Quelle faute devons nous expier en souffrant de toutes les parcelles de notre corps , de notre esprit ravagé.
Cette mort-là ne fait plus peur, elle prend le visage de l'amour. On la réclame pour nous aussi, pour les rejoindre et elle ne vient pas.
Combien d'années faudra t'il endurer avant de gagner le droit de passer aussi de l'autre côté ?
Et les gens nous regardent désormais autrement, cherchent de vains mots pour panser nos blessures, profèrent des conseils pour secouer notre peine ou nous fuient pour éviter notre souffrance contagieuse.
En état de choc, je me suis mise à égrener la litanie des plus jamais et j'ai agis comme un robot pour effectuer des démarches complètement surréalistes : se rendre à la chambre funéraire, choisir un cercueil, acheter un bout de terre au cimetière.
En face de moi, une dame en tailleur m'a vanté la qualité du bois clair, m'a conseillé sur le capitonnage assorti au costume du décédé.
Et lui reposait seul, à jamais immobile sur un lit de repos inconnu,
loin de notre maison et de nos baisers.