Chapitre 14 : Reprise du travail - Parenthèses journalières

Publié le 19 Mai 2015

Chapitre 14 : Reprise du travail  -  Parenthèses journalières

Ce lundi là , je n'ai aucune idée de comment je vais y arriver. Je ne dors plus, je ne mange plus, je pleure sans cesse, je souffre de façon exponentielle.

Ma cadre m'a proposé des horaires aménagés. Sans cette proposition, je crois que je n'aurais pas eu la force reprendre si rapidement.

Comment aider autrui alors que soi même à un tel besoin d'être soutenu ?

Au fin fond de ma détresse une petite voix m'encourage, me dit de reprendre mes accompagnements pour me décentrer de ma propre douleur.

Comme pour les artistes, le spectacle continue, mon rôle n'est pas terminé.

Ce matin là, recroquevillée dans ma tunique blanche, j'erre un long moment dans les couloirs de l'EHPAD.

Je suis perdue, je ne sais pas où aller, que faire... Je suis "hors planning" avec la liberté de « faire » comme je le sens. Mais que dois je faire?

La totalité de mes collègues me sourit, me dit un mot gentil, me prend dans ses bras.

Chaque marque d’affection me serre le cœur, me permet de raconter.

J'essaie de ne pas pleurer

Que c'est dur !

Chapitre 14 : Reprise du travail  -  Parenthèses journalières

En fin de matinée, j'arpente le dernier couloir de la maison de retraite lorsqu'une jeune collègue me demande mon aide.

Une dame est arrivée deux jours apparemment, elle a la maladie d'Alzheimer et n' a pas quitté son lit depuis vendredi.

Je m'approche doucement et j’aperçois une forme en position fœtale complètement entortillée dans les draps et la couverture.

Une tête blanche émerge à peine de l'oreiller. Le visage est tourné vers le mur, les yeux sont clos.

Je suis bouleversée. Dans ce lit tout froissé,

cette dame me renvoit ma propre image.

Alors à cet instant, qui mieux que moi peut la comprendre ?

Immobile, déboussolée, perdue dans l'inconnu, il me faut la guider et elle va me guider.

Je m'agenouille à la tête de son lit, mon visage tout près du sien et je pose doucement mon index sur sa joue. Dans un mouvement de va et viens, je lui prodigue de longues minutes cette petite caresse qui finit par lui faire ouvrir les yeux.

Et je lui parle, j'ai tout mon temps, je peux être là juste pour elle.

Elle me tend enfin ses mains 

Un premier sourire apparaît sur ses lèvres et sur mes lèvres.

Chapitre 14 : Reprise du travail  -  Parenthèses journalières

 Merci à ma jeune collègue qui avec beaucoup de sensibilité à su me redonner une petite place.

Merci à cette dame qui chaque jour poursuit son rôle de vivre et d'aimer.

 

Plus tard, j'installe un calendrier 2012 rempli de jolies fleurs.

Je tourne les pages et m’arrête inexorablement sur le mois de mai.

Mon cœur s'emballe, c'est un bouquet de Véronique.

Les larmes coulent, c'est comme si mon chéri me souhaitait bon retour au travail.

Chapitre 14 : Reprise du travail  -  Parenthèses journalières

Les jours suivants je m'organise.

Le matin, je prends en soin quelques personnes en besoins particuliers et l'après midi j’effectue des tâches administratives et informatiques.

Nous sommes au début d'une démarche qualité et je me consacre à des missions concernant la vie sociale de l'établissement. A l'abri d'un bureau, je reprends pieds doucement.                                                       

Comme l'avait prédit ma cadre et mes collègues, le goût de mon travail et des responsabilités me revient peu à peu.

Ma cadre est depuis partie en retraite, l'ai je assez remerciée de cette grande humanité dont elle a su faire preuve dans les débuts de mon deuil ?

 

Chapitre 14 : Reprise du travail  -  Parenthèses journalières

Une parenthèse s'ouvre donc chaque jour, un petit répit journalier, un réseau de soutien activé, un repas équilibré.

Et puis le soir venu se referme brutalement. Le deuil me rattrape alors sitôt le seuil franchi, les larmes trop contenues jaillissent à larges flots.

Le manque déploie sa vrille et m'étouffe à nouveau, je suffoque, tandis que ses ventouses s’agrippent à ce passé si proche.

Rédigé par Véronique

Publié dans #Le chemin

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Y
Ceux que l'on aide deviennent souvent notre soutien.<br /> <br /> Retrouver leur présence, leur regard, comme un attachement.<br /> <br /> Yohann
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V
oui Yohann<br /> Bises
M
Tu as eu de la chance que ta cadre te comprenne et t aide!!! De mon côté qd g perdu mon frere mes cadres et cadres sup ont été horribles et j en suis tjs blessee! Penses bien a toi...
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V
Marlene,<br /> Il y a des attitudes, des mots qui marquent ou blessent durablement.<br /> Courage et merci de ton petit mot<br /> Véronique
É
Pas facile effectivement de jouer pleinement son rôle d'aidant quand nous avons nous même besoin d'aide, vous l'avez très bien dit au début de l'article. Je suis aide soignante à domicile et je suis également en plein deuil, beaucoup de remise en question, mais les sourires et les remerciements des personnes dont je m'occupe m'aide à aller de l'avant et à croire que j'ai encore ma place dans cette vie. Courage...
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V
Oui Elodie, nos professions nous aide à aller de l'avant.<br /> Bien sur que vous avez encore votre place, il faut juste un peu de temps pour intégrer les nouvelles données de vie, les accueillir et poursuivre avec.<br /> Merci de votre message et courage à vous également<br /> Véronique
B
Bonjour comme je me retrouve dans vos ecrits ..je vis la meme choses depuis deux année matenan que j ai perdu min unique fils âgé d a peine 19 ans ...sauf que aujourd'hui je ne me sens plus a ma place je ne trouve plus d équilibre a bosser je suis de plus en plus fatiguée ....plus d envie ....je ne sais pas dans quelle direction je chute mais le ras le bol est bel et bien la et pourtan je continue a me lever chaque jour pour bosser...je precise je bosse en hôtellerie donc horaire pa facile.....en tous cas vos écrits sont tres prennant...courage a vous .
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V
Merci Brouchard<br /> Chaque commentaire est unique et touchant.<br /> Perdre un enfant est un drame innommable. <br /> Le deuil nous bouscule sans cesse et par moment, nous ne savons plus où est notre place et l'énergie nous manque. Pourtant nous nous levons et effectuons nos tâches et notre travail. <br /> L’hôtellerie a beaucoup de contraintes et génère une grande fatigue et il faut garder le sourire devant les clients.....<br /> Le monde est repli d'endeuillés anonymes..........<br /> Courage à vous également<br /> Véronique
M
Bjr veronique j'ai connu ce moment difficile l'homme de ma vie est parti le 29/03/2014 j'ai repris un travail de commercial le 05/05/2014 en pensant k cela m'aiderait face a ma souffrance mais je suis malheureusement tomber sur un patron qui m'a dit un jour que je n'etais pas operationnel et k je n'etais pas assez vissieuse pour vendre...ces mots sont: " vous voyez moi lorsque je n'arrive pas a vendre moi je suis enerve donc pas operationnel donc vous avec ce k vous vivez vous n'etes pas operationnel" !!!!! Heureusement pour lui k je l'avais au telephone car sinon je lui aurais sauter au cou ...oser comparer de la vente face a la mort je trouve cela terrible et ecoeurant car justement j'etais operationnel et professionnel dans mon travail meme si entre chaque client lorsque je conduisais la souffrance et les larmes etaient la sans pouvoir les contenir mais je savais ne rien montrer face aux clients.....votre temoignage me touche et me parle face a ce nous vivons vous avez eu cette chance d'avoir une cadre et des collegues admirable et pourtant pour moi cette societe etait venue me recherche en sachant le drame que je vivais ...de tout coeur avec vous vous faites un metier magnifique et avez bcp d'humanite envers vos residents...pour ma part j'ai des souvenirs plein le coeur pour avoir travailler comme secretaire en maison de retraite mais l'on m'a reproche d'etre trop proche d'eux et licencie lorsque notre directeur en or avait ete licencie!!!!!
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V
Merci de votre commentaire<br /> Le deuil d'un être proche est très souvent méconnu dans le monde du travail. Je suis bien consciente que tous les endeuillés n'ont pas un entourage professionnel qui les aide. <br /> La mort fait partie de la vie d'un EHPAD, son processus y est connu des agents (même si elle reste théorique tant qu'on ne l' a pas vécu soi même).<br /> Je vous souhaite beaucoup de courage et de force, votre deuil est encore si récent.<br /> Véronique
S
Coucou ma belle.. Toujours touchée par ce que tu écris.. Je ne vais pas très bien en ce moment.. Alors je laisse le soin aux autres de commenter.. Je t'embrasse fort
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V
Cc Sylvie<br /> Les gens commentent peu parce qu'en réalité cela reste difficile de "commenter" la peine des autres. <br /> Désolée que tu traverses une sombre période.<br /> Tu sais que ça va passer, tu as déjà expérimenter ces passages à vide. <br /> Je t'embrasse fort aussi, accroche toi à ceux que tu aimes et qui t'aiment<br /> Véro