Sept ans, l’âge de raison du deuil ?

Publié le 4 Mai 2019

Que suis-je devenue ?

J’aime me comparer à un vase Kintsugi, ce vase japonais fêlé dont on sublime les fêlures avec de la poudre d’or. C’est bien cet état d’esprit qui est le mien aujourd’hui, je suis joliment réparée et enrichie de tant de belles choses mais irrémédiablement fracturée et fragile. Une fragilité intimement liée au traumatisme initial, au décès brutal de mon époux, à la cessation de notre vie de couple, à l’anéantissement de nos projets, à l’écartèlement de la séparation.  

Je suis pourtant toujours là, j’ai cheminé avec peine et larmes dans mon deuil, dans toutes ces étapes qui aident à se situer et ont nécessité un véritable travail. Quel long et pénible investissement pour reconnaître la perte réelle de mon époux, pour dépasser l’état psychique de vide sidéral et le désinvestissement total au monde puis peu à peu accueillir la nouvelle réalité et me reconstruire en investissant d’autres liens, d’autres projets et en intégrant Dominique tout en moi. 

Mais ne serais-je plus en deuil ?

J’ai cherché l’historique de ce mot DEUIL et j’ai trouvé plusieurs propositions. Deuil peut venir de « dolium » (chagrin) ou de « dol » (affliction) et du bas latin « dolus ». Dol avait alors pour sens, la souffrance globale puis au XI ème siècle ce mot désigna le chagrin de la perte d’un être cher. Au XIII ème siècle Dol devient Duel issue de Dellum et de la forme ancienne Bellum (combat). 

J’aime cette chaîne de mots qui nous amène à penser que dans un duel l'un des deux protagonistes meurt et que cette mort provoque le chagrin des proches.

Le travail de deuil prendrait fin selon Freud lorsque le sujet peut déclarer « mort » l’objet de son attachement. Il parle même de combats pour « abattre » l’objet d’attachement. Combat(s) car c’est le mot DUEL qui au pluriel donne DEUIL (comme un œil, des yeux).

Donc deuil au pluriel qui se rapportent à tous les duels nécessaires pour désinvestir le défunt, la vie que l’on menait ensemble, les projets d’avenir et ceci jusqu’à redevenir « soi » à part entière et non plus le « NOUS », cet attachement qui est source de souffrance.

Ouhai, ça c’est de la psycho…mais si je m’en rapporte au sens de Dolus = Douleur, je suis désolée de dire qu'en ce qui me concerne, la souffrance existe encore et existera sans doute toujours, elle est latente tapit derrière la résilience et me fait dire que mon propre deuil durera autant que moi car le lien, le « NOUS » ne sera jamais sécable. A peine disable cette réalité sans prendre le risque de s’entendre dire qu’on vit un deuil pathologique ou non résolu !

Mais alors ai-je surmonté mon traumatisme de le perdre ? Ai-je construit de nouveaux pans de vie sans lui, ai-je réussi mes duels intérieurs ? Ai-je atteint l’âge de raison du deuil ?

 L’âge de raison de mon deuil où grandit par la souffrance, je serais parvenue à mettre la mort de mon mari à distance, où j’aurais acquis suffisamment d’autonomie pour aller de l’avant sans lui et à être en éveil à la vie. En d’autres termes suis-je résiliente ? 

Mais oui, rassurons-nous, je vais bien. Les années ont coulé, la vie s’est effectivement reconstruite, elle est riche, intéressante, remplie. 

 Ma vie aujourd’hui est d’avantage tournée vers autrui, j’y trouve de la joie dans une certaine simplicité et je ne suis plus si pressée de la quitter.

Vue de l’extérieure tout parait bien rangé, bien en ordre mais car il y a toujours un mais...

La prise de conscience de l'année est qu'il n'y a pas de fin aux souffrances, rien ne sert de s'étourdir dans du futile, de se suractiver pour oublier car il n'y a pas de fin aux souffrances de soi et du monde. Je le savais bien sûr mais aujourd’hui s’impose cette évidence qu’il y a toujours quelque part quelqu'un qui va mal.

Pour soi et ses proches, il y a juste des trêves car avoir souffert n’exonère en rien de souffrir de nouveau, de vivre de nouveaux deuils, des maladies et d’autres épreuves de vie qui s’entremêlent et se ravivent les unes les autres.

Et même si tout va bien, que la période est calme, il m’arrive l’espace de quelques secondes d’être subitement happée dans le tourbillon abyssal bien connu des débuts du deuil. Ce sont des micro-moments qui surviennent sans prévenir et qui sont aussi brefs qu’affolant dans la dégringolade jusqu'au traumatisme initial et là j’entends clairement battre à l’unisson les lamentations de nos deux âmes !

Qu’est-il advenu de son âme ?
Je m’interroge souvent justement de ce qu’il est advenu son âme, je me demande quel a été son chemin toutes ces années. L’esprit de mon chéri a-t-il retrouvé tout comme moi un équilibre, ne souffre-t-il pas trop ?

Comme beaucoup de personnes qui ont perdu des êtres chers, cet aspect spirituel fait partie intégrante de mon quotidien. J’ai lu sur les religions, j’ai consolidé ma foi avec le message de évangile et j’ai aussi cherché des « preuves » métaphasiques en lisant ou suivant des conférences sur la vie après la vie, sur le chemin des âmes… Ma foi est par moment mise à dure épreuve et il m’arrive de douter du sens et de devoir remobiliser mon espérance.

Et le sens justement ?

Plus le temps passe et en entrant dans l’âge mur, plus j’en viens à me dire que le sens de nos destinées n’est pas la recherche du bonheur qui est un état trop fluctuant et fragile mais la capacité à vivre ces cycles d’épreuves en restant ouverts à la beauté du monde. Bon, une chose de bien si j’ose dire est que lorsque les épreuves resurgissent, je sais pour l’avoir déjà expérimenté que je possède les ressources pour remobiliser mes énergies et rester à flots. C’est une régulation éternelle qui épuise avant de pouvoir souffler et repartir.    

La dernière étape n’a pas de fin

7 ans plus tard comment se nomme le fait d’avoir perdu son époux ? Je suis veuve et ce mot ne me caractérise pas plus que quelques années en arrière car Dominique est là en permanence, tellement là et pas seulement au passé dans les souvenirs ou les regrets. Il est là au présent, dans mes questionnements, mes décisions à prendre, mes joies et mes peines, il m’habille comme une seconde peau.

Il y a quelques semaines, mon amie de deuil Marina disait dans un message :

« On m’a bien bassinée avec les fameuses « étapes du deuil ». C’est rassurant quand on peut se situer entre le déni et la colère ou quand on pense être au bord de l’acceptation, mais c’est plombant quand on se traine, quand le temps s’étire ou se bloque entre deux.
Et on ne m’a jamais parlé de la dernière étape, celle dans laquelle on reste … jusqu’au bout. Ce -no man’s land -, j’y suis. »

Nous nous suivons, nous nous épaulons depuis des années avec mes amis de deuil. Nous nous sommes rencontrés démunis de tant de chagrins et nous avons continué à partager et à nous soutenir sur le fil de nos vies.

La dernière étape, nous y sommes. Après 7, 8, 10 ans, certains ont construit un nouveau foyer avec un compagnon ou une compagne qui n’effacera jamais les conjoints défunts. D’ autres ont retrouvé du sens dans des activités, leur travail, les petits enfants, du bénévolat, l’écriture… et quelque uns sont toujours en chemin pour reprendre pied.  

Dualité

Les blessures et les luttes font désormais partie intégrante de mon identité et tout comme les joies de la vie et l’amour partagé, le tout me constitue, me modèle jour après jour, m’appellent à bouger, à réfléchir, à être disponible…

Cette dualité de plénitude et de souffrance rend mon cœur plus grand et généreux pour héberger l’Amour, la confiance et la reconnaissance à naître et à mourir, c’est ça le long chemin pour parvenir à la SAGESSE.  

 

Hommage des 7 ans, Véronique à Dominique, n’oublies pas que je t’aime. 

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Publié dans #Dates anniversaire, #Le chemin, #Processus du deuil

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