Chapitre 7 - Seule
Publié le 31 Mars 2015
Deux jours après les obsèques tout le monde est reparti et le portail à peine refermé. Je m'écroule en position fœtale secouée de sanglots incontrôlables et violents.
Je ne veux plus rien faire de ma vie, juste être aspirée dans le tunnel de l'au delà.
Je m'extrais de ma couche à intervalles réguliers pour aller aux WC, avaler un peu d'eau ou prendre des comprimés pour lutter contre des migraines et mon corps fracassé.
Je n'ai le cœur à rien et pourtant dès le lendemain, je remplis ma journée en cherchant à comprendre sa mort et mon deuil et en effectuant les nombreuses démarches obligatoires suite à un décès.
Mon mari était méthodique et organisé et je trouve la force comme lui d'établir des priorités pour chaque jour gérer ce flot administratif.
Que de services à contacter, que de papiers à fournir, de photocopies à réaliser et déjà les factures des pompes funèbres.
Et je me mets à lire sur le deuil et à écrire ma douleur pour qu'elle non plus ne puisse plus ne pas avoir existée.
Déjà malgré moi, le processus de deuil est en route
mais ça je ne l'admet pas encore.
Le portable de Dominique vient de biper l'informant qu'il n'est pas venu retirer le véhicule qu'il avait loué pour notre circuit aux Canaries. Nous devrions être à Lanzarote en ce samedi du mois de mai. Il répétait sans cesse ces derniers jours qu'il était si content de partir avec moi.
Cette phrase m'a des jours durant complètement obsédée. J'ai fini par me persuader que le message était « Où que j'aille, tu seras avec moi ».
Les larmes m'engloutissent à nouveau.
Trois ans plus tard, je reçois encore de temps à autre, une offre publicitaire à son nom et la semaine dernière, un démarchage téléphonique
« Je voudrais parler à M Dominique ...»
Ma voix tressaille en demandant à quel sujet .
Et mon interlocuteur récite son texte en m'indiquant que M D a joué à je ne sais quel jeu et qu'il a été tiré au sort et bla, bla, bla...
Et moi de dire ironique et colère : « ça m'étonnerait »
Et le mec insistant, détache toutes ses syllabes « É cou tez ma dame, ce monsieur c'est inscrit et a in di qué ses coordonnés »
J'ai raccroché en m’efforçant de sourire et en parlant tout haut à mon amour :
« Alors comme ça de la haut tu joues en ligne, c'est du beau ! »
Notre maison du bonheur évanoui est désormais désespérément silencieuse et il est pourtant partout.
J'erre, je pleure, je regarde nos photos, j'enfouis mon visage dans ses vêtements, je me rends au cimetière et je pleure encore.
Mon Dieu, il y a juste une semaine et ce temps sans lui ressemble à un siècle.
Quelques jours plus tard, j'entreprends la rédaction des cartes de remerciements. L'une de mes premières actions avec un but même si ce but et tout le reste de mes journées est exclusivement axé sur ma vie perdue, ma souffrance et son absence.
C’est lourd et douloureux et je rédige des courriers et des cartes jusqu'à m'abrutir, incapable de diférer ce devoir.
A qui envoyer les cartons ? Aucune marques n’est négligeable pour moi.
La présence à l’église, les lettres, les messages internet, les fleurs...Tout compte.
La plupart des messages appellent un petit mot de réponse plus personnalisé et je souhaite écrire de longs courriers à mes collègues et à ceux de mon époux.
Il y a tellement de mots qui m'ont touché, particulièrement ceux faisant de belles descriptions morales de mon mari.
Le soir venu, je suis exténuée, lasse de chercher des adresses que je ne trouve pas. Je rouspète contre Dominique: « y a pas idée de connaître tout ce monde ».
Je sens la vague arriver, elle me happe, me ballote, me cogne contre les écueils.
Comme chaque soir en fin de journée, je tremble.
J'ai juste la force d’emprunter les escaliers, de me dépouiller de mes vêtements qui tombent en tas au pied du lit. J'avale un somnifère et je sombre quelques heures dans une torpeur agitée.
En me levant le jour suivant, je reste de longues minutes immobile sur le bord du matelas. Son coin de lit est encore bordé et je le regarde hébétée. Comme il est difficile de juste se lever.
Je ressens une perte définitive d’insouciance, une perte définitive de pouvoir se reposer sur l’autre.
J’étais tellement dépendante de lui, il était ma force vive.
Lui seul connaissait ma valeur et mes blessures qu'il pansait si bien.
Tout me manque, ses mains sur ma nuque douloureuse, son regard, son rire, son humour, ses caresses...
J'ai peur d’oublier son visage et des détails de notre vie alors je regarde sans cesse des photos pour me remémorer le maximum de nos moments.
Je me dis qu'il restera à jamais un bel homme de 49 ans alors que moi, je ressens avec son départ, l’entrée dans la vieillesse.
Jamais il n’y aura de photos de nous deux très vieux. Jamais nous ne fêterons nos noces d’or.
Et tous ces noëls, anniversaires, St valentin et dans quelques semaines la fête des pères.
Et je lis boulimique et incrédule que malgré tout ce que je ressens, je vais réussir à poursuivre seule.
Et je chasse et je m'accroche à ce désir, à cet espoir de moins souffrir,
de vivre et de sa survie.