Chapitre 22 - Retraite spirituelle
Publié le 21 Février 2016
Samedi 04 mai 2013
Et bien voilà, nous y sommes. Un an que mon chéri d’amour est parti. Trois cent soixante-cinq jours sans lui.
Comment est-ce possible ?
Ce matin je suis allée lui faire un petit coucou au cimetière et déposer des fleurs sur sa tombe, des roses rouges, des véroniques et du muguet.
Et puis, j’ai quitté, mon village pour m’isoler dans une abbaye.
Je suis accueillie en fin de matinée par une petite sœur qui me conduit dans une chambre nommée Notre dame de confiance.
La pièce est spartiate, une table, un lit, une armoire, un lavabo, un fauteuil. J’ai l’impression d’être revenue à St Jo, la pension de mes 14 ans.
Par la fenêtre, j’aperçois le clocher du village et le chemin qui descend aux gorges de la rivière. Il fait doux, l’aubépine est en fleurs et les oiseaux piaillent joyeusement.
Ma chambrette sent le propre, la cire et le javellisant et la sœur a posé un bouquet sur la petite table de bois.
Il n’y a pas d’internet, ni de réseau téléphonique. Mon seul contact sera donc un tête à tête avec ma solitude intrinsèque.
Je suis venue chercher le calme, la sérénité et j’espère que cette mini retraite m’apportera une paix durable.
Sœur Marie-Madeleine me prend sous son aile, elle veut faire connaissance et écouter mon histoire.
Elle me prête tout au long du séjour, une oreille attentive et me permet de raconter une fois encore ce qui s’est passé il y a un an : le décès brutal de mon mari.
Je parle également de mes filles et verbaliser qu’elles ont perdu leur papa est extrêmement pénible, je pleure. Ai-je mesuré leur propre détresse ?
Avais-je mesuré la propre détresse de mon époux lors du décès de ses parents et de sa sœur ?
Mesure t’on la souffrance d’autrui quand on n’a pas soit même enduré son paroxysme?
Je raconte donc ma vie, mon travail et Sœur Marie-Madeleine sourit et sourit encore.
Je parle de ma Foi, de mon espérance, de ce texte que j’ai écrit :
La mort a le visage de l’amour
« En prenant dans mes bras ton corps sans vie, il y a eu communion de nos corps et de nos esprits. Je suis partie avec toi, tu es resté avec moi ».
La sœur me demande si je communique avec mon mari défunt.
Je lui réponds que je lui parle sans cesse.
Je suis donc dans la chambre « Notre dame de confiance » qu’elle m’a attribuée pour me donner la force.
Oui j’ai confiance en un au-delà !
Après le déjeuner, je fais une petite promenade sur les bords de la rivière J’ai les larmes aux yeux de me retrouver là toute seule.
Des souvenirs d’autrefois m’envahissent.
Je traverse la passerelle métallique pour gagner la rive accidentée. La rivière est haute et vrombissante. La berge se cogne contre un éperon rocheux envahi de racines, celle d’où je viens est un champ d‘herbes folles parsemé de fleurs printanières.
Cette nature ressemble à mon esprit, c’est une montagne à franchir, un cours d’eau à traverser pour accéder à la vallée de la tranquillité.
Le sentier grimpe, je prends de la hauteur pour regarder ma vie. Les yeux fermés, j’écoute, l’eau coulante, les oiseaux, l’église dans le lointain.
En rentrant à l’abbaye, je décide de passer par la chapelle. Devant l’autel, une dame arrange des pivoines et fait tinter son seau en zinc.
Je m’assieds sur un banc, je lève les yeux au ciel pour regarder un vitrail et voilà que monte une prière.
Je prie mon chéri, mon tendre amour. Je lui raconte que je suis revenue dans notre pays pour le sentir plus près de moi.
Cette inactivité, cette absence de médias est un bienfait. J’apprends à méditer, à me laisser aller à mes pensées les plus intimes.
J’apprends à mieux aimer mon ange du ciel.
Vèpres
Un temps chanté qui me bouleverse. Les sœurs proclament Christ ressuscité.
Une intention de prière est dite pour les défunts, pour que la sainte vierge intercède auprès de Dieu. Je trouve ça beau et grand.
Les autres participants sont pratiquants et je ne comprends pas tout le cérémonial. On se lève, on se rassoit, on se courbe, c’est un peu folklorique mais je suis le mouvement et je prie et je sors de la chapelle apaisée.
Vigiles
Une heure de psaumes entrecoupés de lectures. Le père qui loge ici est aux petits soins avec moi.
Quelle sérénité !
Le début de ma nuit est pourtant difficile, Un grand froid m’envahit le corps. Je suis prise de nausées et de maux de tête. C’est son heure de mort, je connais malheureusement trop bien cette angoisse envahissante du début de nuit.
Le sommeil finit par me gagner et je m’endors épuisée.
Dimanche 05 mai
Ce matin, je m’ennuie.
Que vais-je faire de cette grande journée ? Il n’y a rien d’autre à prévoir que d’aller aux offices.
Entre les prières, je lis et j’écris en continue. Lire et écrire sans distractions permet de mieux assimiler, de mieux réfléchir et analyser.
« En hiver tout ce prépare déjà à la renaissance à venir. Tout se meurt circulairement, tout reviendra. La mort est toujours intégrée à cette aventure, elle n’est pas un scandale. Dans la nature la mort n’est qu’une métamorphose, c'est-à-dire qu’elle n’est rien » Eric Fiat
Grand-messe
L’église est pleine à craquer. Une grande communauté de chrétiens pratiquants est ici rassemblée.
J’écoute encore une fois la parole du Christ mort et ressuscité proclamée sans répit dans ce temps de Pâques qui n’est pas terminé.
Jésus dit au revoir à ses apôtres et leur dit de ne pas être triste, il va rejoindre le père.
Jésus sera toujours en nous par l’Eucharistie.
Le prêtre parle de paix qui s’installe de façon durable.
J’en viens à confondre mon époux décédé avec Jésus Christ…
Pour la première fois de ma vie, j’ai une compréhension profonde du sens « du Corps du christ ».
Et puis c’est le geste de paix et une vague émotionnelle me saisit au contact de toutes ces mains tendues, de ces sourires bienveillants.
A cet instant présent, je trouve ce que je suis venue chercher dans cet endroit isolé, une communion profonde avec mon amour.
Dans l’après-midi, la sœur se fait bavarde et me parle d’elle, de son manque d’enfant et de compagnon. Elle me confie les difficultés à vivre en collectivité, la promiscuité avec ses compagnes, le manque d’intimité.
« Le manque » d’enfant, ce n’est pas rien dit-elle presque dans un cri.
Et je l’écoute à mon tour avec une grande empathie.
Moi qui souffre du manque absolu de mon époux, je comprends sa propre souffrance si complexe. Je sens un grand tourment chez cette femme, bien caché derrière son sourire et sa robe noire.
Lundi 06 mai
Dans un magazine déniché, je lis des témoignages de personnes s’étant éloignées de l’église et qui y sont revenues par les circonstances de la vie. De beaux récits qui me permettent d’approfondir des réflexions personnelles.
« Lorsqu’une épreuve survient, Dieu entre par la faille » écrit une dame ayant souffert d’une grave leucémie. Jésus sur la croix qui laisse son égo de côté. J’ai vraiment l’impression que Jésus prend un peu de ma souffrance. »
Mon chéri mort m’insuffle moi aussi un puissant pouvoir de VIE.
Lorsque la souffrance sera à nouveau violente, je voudrais avoir la force de me rappeler pour toujours cette espérance.
Je voudrai pouvoir me dire que je n’ai aucune raison d’avoir peur, parce qu’il est heureux et toujours avec moi.
Le deuil se transforme peu à peu en allégresse chantent les nones.
Avec l’aide des sœurs, j’ai passé ce cap des un an en douceur, j’ai rallumé mon étincelle de vie, j’ai trouvé la paix.
J’ai Foi qu’il poursuive cette existence d’infini amour et que je le retrouverai un jour